Le Cri de Paris

Le Cri de Paris est un journal satirique (1897-1940), un peu l'ancêtre de notre Canard enchaîné, qui paradoxalement avait pris la défense du capitaine Dreyfus,  mais avait critiqué Eugène Turpin, un autre emprisonné à tort.

L'article du Cri de Paris du 27 avril 1919



L'article en page 6 du Cri de Paris du 27 avril 1919

Védrines

C'était le 2 août 1914. Les histoires les plus folles couraient déjà dans le public.

Un journaliste sportif rencontra le pauvre Védrines, qui aimait souvent à se payer la tête de ses contemporains.

- Je viens de voir Turpin, dit Védrines à notre confrère. Il m'a donné un explosif que je vais faire tomber sur les Boches. Ce que je vais leur f.. le feu au derrière avec cela. Tu m'en diras des nouvelles :

Il n'en fallut pas davantage pour que tout Paris racontât vingt-quatre heures plus tard que Turpin avait inventé un explosif capable de détruire l'armée allemande d'un seul coup.


C'était la victoire immédiate et formidable.

Védrines, à lui tout seul, n'allait-il pas semer la panique chez l'ennemi ?


Védrines, qui accomplissait des missions fort périlleuses pendant la guerre, avait-il le pressentiment de sa fin tragique ? En 1916, un jour que revenant des lignes allemandes, il avait miraculeusement échappé à la mort, et qu'un de ses camarades le complimentait sur sa chance :

Oh ! moi, fit-il, je suis blindé, pour le moment du moins.

Et il ajouta, mi-sérieux, mi-gouailleur :

Je ne crains rien de la guerre. C'est de la paix que j'ai peur !

L'article du Cri de Paris du 4 mai 1919

Dans cet autre article publié, une semaine plus tard, dans la même rubrique " Choses et Gens ", le dimanche 4 mai 1919, il est fait allusion aux faits qui furent justement à l'origine de l'emprisonnement injustifiée d'Eugène Turpin à la prison d'Etampes. C'est cette parution qui entraîna une réponse manuscrite d'Eugène Turpin le 31 mai suivant.

Après la polémique et le procès avec Jules Verne, Eugène Turpin est donc en affaire cette fois avec l'hebdomadaire satirique et politique le Cri de Paris, suite à la parution d'un article satirique à son égard intitulé " La Foi et la Méfiance ", remettant en cause l'efficacité de la mélinite et signalant un mystérieux télégramme annonçant un chèque de 25 000 francs envoyés à son inventeur.


L'article en page 6 du Cri de Paris du 4 mai 1919

La foi et la méfiance


A propos de la mort de Védrines, nous rappelions la semaine dernière l'enthousiasme qu'avait excité au début de la guerre l'invention attribuée à Turpin d'un explosif capable de détruire l'armée allemande d'un seul coup, ou à peu près.


Il courut alors des détails romanesques sur cette invention.


On raconta notamment que, pour entrer dans la pratique, elle avait absolument besoin du concours du Creusot et qu'à cette occasion le ministre de la Guerre, dans une scène superbement émouvante, avait réconcilié MM. Turpin et Schneider, brouillés depuis la mélinite.


On raconta aussi, mais c'étaient les ennemis de l'inventeur, que l'explosif merveilleux était loin d'être au point ; qu'il n'était pas maniable et qu'en s'en servant on ne savait pas s'il n'allait pas commencer par détruire toute l'armée française.


Enfin, les plus malins disaient :

- On a fait des expériences, le résultat est très capricieux ; une fois, une seule dose a suffi à asphyxier trois cents moutons dans un champ, on a recommencé le lendemain avec un nouveau troupeau de moutons, aucun n'a été incommodé.


Mais ce qui n'a été dit nulle part, c'est que, à l'annonce de l'invention de Turpin, de bons patriotes avaient cru qu'il était bon de l'aider et n'avaient pas craint pour cela de puiser dans leur bourse.


Un jour, au mois d'octobre 1914, la censure télégraphique tomba en arrêt devant un télégramme adressé à M. Turpin et portant ces simples mots :

« Vous envoie chèque de vingt-cinq mille francs pour vos travaux ».


Cela mit les bureaux d'Anastasie en émoi !


Le nom du signataire était banal et inconnu.


Quel pouvait être cet homme qui envoyait vingt-cinq mille francs a M. Turpin ? Dans quel but les lui envoyait-il ? Où les avait-il pris ? Toutes questions qu'il convenait de faire élucider par de fins limiers, avant de laisser passer la dépêche.


Et le télégramme fut arrêté.


Il est probable que le chèque arriva au destinataire avant l'avis télégraphique.


La réponse d'Eugène Turpin le 31 mai 1919




Les Sables d’Olonne, 31 mai 1919, 1 p. in-4, à Monsieur Armand Ephraim, propriétaire Directeur du " Cri de Paris " aux Sables d'Olonne, sur papier à entête Eugène Turpin Inventeur de la Mélinite et autres explosifs du canon de campagne.

" Monsieur, 
Bien que je n’aie pu encore m’expliquer ni comprendre la cause et le motif de l’hostilité que vous m’opposez ainsi qu’à mes travaux et revendications légitimes et à mes droits, et enfin à quel titre, j'ai voulu vous éclairer en vous documentant le plus possible. Aujourd’hui je vous adresse ci-joint une chronique des tribunaux datée d’hier, sur les droits d’auteur de Donizetti remontant à 1868, sous l’Empire, il y a 50 ans, et qui rend compte du jugement rendu, ce qui vous démontrera le bien fondé de mes réclamations. Je pourrais également citer les poursuites contre les contrefacteurs de Rodin, pour le gouvernement, ce qui confirme mes droits contre lui-même. Tout cela vous permettra donc d'intervenir utilement et de faire rectifier l'article du " Cri de Paris " du 4 ct (courant) et de me faire savoir qui a intercepté la dépêche, y annoncée, qui a reçu le chèque, d'où il a été émis, etc. et enfin l' ? calomnieuse que mes communications et propositions du début de la guerre étaient une mystification qui cependant ont rendu de si grands services sur le front et n'ont pas été arrêtés par la censure. Recevez mes salutations. " Eug Turpin