La mélinite



La mélinite est le nom commun du composé chimique acide picrique, ou trinitro-2-4-6-phénolégalement appelé acide carbo-azotique ou mélinite, de formule (NO2)3C6H2–OH.

Il a été découvert par Peter Woulfe en 1771 suite à l'action de l'acide nitrique sur l'indigo. En 1885, le chimiste Eugène Turpin l'a redécouvert et stabilisé dans du coton pressé, pour le rendre utilisable comme explosif sous le nom de mélinite.

Welter, un autre chimiste, l'obtint par action de l'acide nitrique sur de la soie. Le produit recueilli, jaune et amer, fut longtemps désigné sous le nom de « Jaune amer de Welter ». C'est un solide cristallin jaune fabriqué à partir du chlorobenzène. C'est un composé très réactif (explosif, comme tous les composés hautement nitrés, par exemple le trinitrotoluène ou la nitroglycérine), de puissance dépassant légèrement celle du TNT. Il attaque la plupart des métaux en produisant des picrates très instables et également explosifs (choc, friction, feu ou autre sources d'ignition).

C'est un produit irritant pour la peau, les yeux et les voies respiratoires et toxique par inhalation, par contact avec la peau et/ou par ingestion.


Sec, il est très sen­si­ble aux chocs et aux frot­te­ments, moins que le tri­ni­tro­to­luène (TNT)) et encore moins que la pen­thrite, mais reste néan­moins très dangereux. Par exem­ple, un poids de 2 kilos tom­bant de 36 cm sur un mor­ceau d’acide picri­que cris­tal­lisé engen­dre une explo­sion aussi forte que celle pro­vo­qué par un explo­sif puis­sant comme le TNT. Il faut donc qu’il soit mouillé avec plus de 30 % d’eau pour pré­ve­nir ce com­por­te­ment : il est qua­li­fié de « flegma­tisé ».


Il fond à 122 °C et explose à 300 °C : c’est pour­quoi il a été très abon­dam­ment uti­lisé lors de la Première Guerre mon­diale. Le char­bon et la car­bo­chi­mie fournissaient de gran­des quan­ti­tés de phénol pour la fabri­ca­tion de la mélinite.  On cou­lait la méli­nite dans les obus à 125 °C, l’écart avec 300 °C étant suf­fi­sant pour assu­rer une cer­taine sécu­rité aux opéra­teurs.



On ne conserve l’acide picri­que même à 33 % d’eau que dans des réci­pients en verre, sur­tout pas dans du cris­tal qui contient trop de plomb. En effet, les picrates de plomb, comme les picra­tes de cuivre ou de fer, sont aussi très ins­ta­bles et explo­sifs. Il faut éviter notam­ment de répan­dre l’acide picri­que sur une sur­face métal­li­que ou sur du béton et de lais­ser sécher la solu­tion, car les sels formés (picrate de calcium pour le ciment) sont déto­nants une fois secs.

L’acide picri­que est solu­ble dans le ben­zène et l’acétone, il est peu solu­ble dans l’eau ou l’alcool. Les solu­tions com­mer­cia­les dans l’eau sont à sous-satura­tion, c’est-à-dire à 1,2 % maxi­mum. Elles sont très effi­ca­ces pour soi­gner les brû­lu­res en lais­sant sur la peau une légère teinte jaune durant quel­ques jours.

L’acide picri­que entre dans la com­po­si­tion de cer­tains fixa­teurs uti­li­sés en his­to­lo­gie et ana­tomo-patho­lo­gie. Un fixa­teur fige une cel­lule vivante en son état et la soli­di­fie par coa­gu­la­tion et pré­ci­pi­ta­tion, lui permettant d’être exa­mi­née en micro­sco­pie. Le fixateur de Bouin par exem­ple, très uti­lisé en botanique et en bio­lo­gie, com­prend pour 100 ml : 70 ml de solu­tion picri­que à 1,4 %, 25 ml de formol à 40 % et 5 ml d’acide acé­ti­que.

Comme colo­rant, il est uti­lisé pour colo­rer la laine en milieu ammo­nia­cal ou chlor­hy­dri­que. Dans le pla­cage du bois, on l’uti­lise aussi en solu­tion diluée et mélangée au sul­fate de fer FeSO4 (cf. Sulfates de fer) pour donner une colo­ra­tion verte très prisée en mar­que­te­rie. L’acide picri­que dilué dans l’alcool est aussi uti­lisé en métal­lo­gra­phie pour révé­ler la micro­struc­ture des allia­ges.

Du point de vue toxi­co­lo­gi­que, l’acide picri­que pur ou mouillé à 33 % est cor­ro­sif pour la peau ainsi que pour les yeux. Par inges­tion, il peut être mortel et par expo­si­tion per­ma­nente à ses pous­siè­res, il conduit à des intoxi­ca­tions graves. Par contre, en solu­tion diluée (sous 1,2 %) vendue en phar­ma­cie pour usage externe, il ne pré­sente pas de danger sauf par ingestion.

Les dangers les plus impor­tants sont le fait de la négli­gence des uti­li­sa­teurs dans les labo­ra­toi­res qui lais­sent plu­sieurs années dans les pla­cards ou sur les étagères les fla­cons d’acide picri­que à 33 % d’eau, qui ont déjà été ouverts. L’acide peut alors sécher et la pâte humide donner nais­sance à des cris­taux. Il importe alors d’exa­mi­ner soi­gneu­se­ment le flacon sans le tou­cher, de cons­ta­ter visuel­le­ment si des cristaux sont obser­va­bles.

Dans ce cas, il faut contac­ter les ser­vi­ces spé­ciaux d’élimination des explo­sifs et ins­tal­ler un péri­mè­tre de sécu­rité autour du labo­ra­toire. Il convient donc d’avoir un suivi régu­lier des stocks d’acide picri­que (à 33 % d’eau) et tous les 3 mois véri­fier la teneur en eau et au besoin en ajou­ter et les garder dans un endroit à humi­dité cons­tante si pos­si­ble.

Les autres noms de l'acide picrique

Les Français l'ont baptisé mélinite, les Anglais lyddite, les Italiens pertite, les Autrichiens écrasite, les Allemands explosif 88, les Japonais explosif Schimose.


La photographie est prise à Sevran, commune plus communément appelée aujourd'hui Sevran-Livry, petite ville de l'ancien département de Seine et Oise, aujourd'hui ville importante du département de Seine-Saint-Denis.
En 1914, une poudrerie très importante existe à Sevran et un organisme tout aussi important y possède un champ de tir, il s'agit du Laboratoire Central de la Marine qui y expérimente les poudres utilisées par la Marine et les explosifs. La poudrerie de Sevran fournit de nombreuses poudres en usage dans l'Armée de Terre et la Marine.
En 1916, ont lieu à Sevran des expériences d'explosions de différents explosifs et de poudres destinées à :
- mener des études sur l'onde de choc et de ses effets mécaniques au voisinage du centre d'ébranlement.
- étudier les zones de dégâts.
- étudier la transmission de la détonation à distance et ses conséquences notamment en ce qui concerne le stockage des explosifs.
- étudier l'efficacité des protections.
- étudier la forme et les dimensions des entonnoirs.
- accessoirement, ces études permirent aussi d'approfondir la connaissance de l'acoustique des détonations et de l'existence des zones de silence.
Ce cliché, parmi toute une série, montre l'effet de la détonation de 250 kg de mélinite en caisses, simplement posées sur le sol composé de "marne argileuse sans cailloux ni rochers, dite marne de Saint-Ouen".
Pour résumer, l'entonnoir produit est faible (6 mètres de diamètre sur 3 m de profondeur), la vitesse de projection des débris est de 2500 m/s et l'onde de choc est de 7000 m/s et encore de 5000 m/s à 10 mètres de distance pour diminuer ensuite.
On imagine l'effet dans une cavité souterraine (mine) ou en mer (car l'étude prend en compte ces paramètres).
Cet essai de 1916 est encore un essai en "faible" dimension, les études continueront en 1919 à Tahure (!) avec une explosion de 49 000 kg de mélinite et encore à La Courtine en 1924 avec des charges de l'ordre de 10 000 kg de mélinite. Ces derniers essais bénéficient des progrès réalisés pendant la guerre dans la qualité des appareils de mesure (car la guerre fait progresser la science à pas de géant !). Les photographies montrent alors des boules de feu et des colonnes de poussières dont les dimensions sont véritablement annonciatrices de guerres encore plus dures à venir...



Pétard modèle 1886 : une amorce enflamme la mélinite pulvérulente qui fait détonner la mélinite fondue.

Un siècle après


Articles parus dans La Voix du Nord du lundi 8 août 2016







Le pétarade en sécurité civile (Source Wikipédia)


Le pétardage est l'opération pyrotechnique consistant à détruire des munitions désuètes ou trop anciennes pour être conservées ou démantelées pour en récupérer les métaux. Il s'agit souvent de munitions non explosées devenues dangereuses, ou de munitions trouvées par hasard (lors du labour d'un champ, en forêt, lors de travaux de terrassement ou fondation, ou dans le chalut d'un bateau de pêche).

Après la Première Guerre mondiale, lors de la reconstruction, l'opération se faisait initialement sur terre (généralement dans un trou (ancien trou d'obus éventuellement), et/ou dans une zone très isolée s'il s'agissait d'armes chimiques). Quand les conditions le permettent, le pétardage s'est fait sur des champs ou zones de tir d'exercices, voire dans des mines désaffectées. Dans le nord de la France, pour les armes chimiques, le pétardage était pratiqué dans un estuaire. Cette dernière méthode est désormais interdite par les conventions internationales (La convention de Londres en particulier interdit qu'on se débarrasse de déchets en mer) ou les lois locales ou nationales.

L'objet du pétardage : Il s'agit généralement d'obus non explosés trouvés dans les champs ou en forêt et rassemblés par les démineurs.

Les munitions chimiques sont généralement mélangées avec des munitions conventionnelles pour être détruites le plus complètement possible et avec plus de certitude.

Inconvénients : Le pétardage ne permet pas la récupération ni le traitement de composants toxiques comme le mercure des amorces, le plomb ou l'arsenic, que contiennent en grande quantité certaines munitions, ni la récupération des métaux.