Les essais au Fort de Malmaison


Avec la découverte de la mélinite par Eugène Turpin, les forces françaises disposent donc d’un nouveau type d’obus, bien plus performant que les précédents. Il en est de même pour les allemands dont les chimistes ont mis au point dès 1881, un nouvel obus utilisant un mélange brisant connu sous le nom d’helhoffite. Il était donc essentiel de pouvoir tester le pouvoir de destruction de ce nouveau types d’engins communément appelés " obus-torpilles " sur les ouvrages de défense de type Séré de Rivières.

Le choix se porta sur le fort de la Malmaison, situé sur la commune de Chavignon, près de Laon, dans l'Aisne. Ce fort construit en 1878 reçu 170 obus entre le 11 août et le 17 octobre 1886. Les rapports de tirs de l’époque mentionnent le terme " Expériences de Chavignon ".




Le fort de Malmaison, qui faisait parti du système de seconde ligne de défense, élaboré par le général Séré de Rivières, devait protéger d'une part la place forte de Laon avec ses voisins de Condé-sur-Aisne et Lasnicourt, mais aussi interdire l’accès à la vallée de l’Ailette et à Soissons, et par conséquent la marche sur Paris de possibles envahisseurs germaniques ... Cette place forte abritait plus de 800 hommes et était armé de 37 canons.



Une première série de tests fut réalisée visant à étudier l’effet des impacts d’obus dans la courtine centrale de la caserne. Des pétards à la mélénite furent ensuite placés sur le flanc ouest du fort. Enfin, entre le 11 aout et le 25 octobre 1886 deux batteries (155 et 210 mm) placées au sud du chemin des dames pillonèrent le fort. En un peu plus d’un mois, environ 170 obus furent tirés sur la place forte. Les résultats furent sans appel ; les obus de 155mm transperçaient sans problème maçonnerie de 0,8m surmontée de 2 mètres de terre. Quant aux dégâts occasionnés par les obus de 210mm, ils étaient considérables, comme comme en témoigne la poudrière souterraine éventrée par un coup au but ...Les superstructures mêmes du fort étaient mises à mal ! Les expériences de Chavignon furent poursuivies jusqu’au printemps 1887 au polygone de tir de Bourges.



Le système de défense français est-il devenu obsolète avant d’avoir été utilisé ?

En replaçant les conclusions de ces essais destructeurs dans un contexte tendu de fin du XIXe siècle, et à la lumière du fait que les allemands, en plus de l’helhoffite et du coton-poudre, utilisaient la mélinite

Dès 1891, le ministère de la guerre recommanda, entre autres les modifications suivantes :

Création de tourelles blindées munies d’un système d’éclipse pour les canons (mais aussi dispersion de l’armement lourd du fort dans des batteries extérieures au fort),
Renforcement des locaux défensifs et des salles de vie par une dalle de béton armée recouverte de terre et de pierre,
Remplacement des caponières par des coffres de contre-escarpe en béton.
Dans les faits, ces travaux lourds et couteux incités par les commissions inter-ministérielles ne furent pas systématiquement mis en œuvre, loin s’en faut ! Seuls furent modifiés les principaux ouvrages défensifs de première ligne autour des villes de Verdun, Toul, Epinal et Nancy.

De son coté, le fort de la Malmaison ne fut bien entendu pas restauré, au contraire, il fut à nouveau le cobaye des militaires en 1894, avant d’être déclassé et mis en vente en 1912 ...



Ainsi, le fort de la Malmaison, sacrifié avant même qu’il ait pu jouer son rôle de défense aura au moins permis de mettre au jour l’obsolescence du système défensif français au travers de ce qui a été appelé la crise de l’obus-torpille.



Le Fort de Malmaison subit d'autres attaques, durant la première guerre mondiale, non plus avec la mélinite ... mais avec d'autres obus-torpilles, cette fois ce furent ceux de l'armée allemande à base d'helhofitte.

Le reportage de France 3

Voici les vestiges du fort de la Malmaison après les combats qui ont fait rage sur le chemin des Dames. Le fort avait déjà souffert, avant la guerre. Il a servi de cobaye, pour tester des obus chargés de mélinite. 




La mélinite, une révolution imaginée par un chimiste à l’histoire singulière, Eugène Turpin.


14/18 est la guerre des canons. A Paris, les gamins posent près d’obus plus grands qu’eux - drôles de joujoux ! C’est justement un fabriquant de jouets qui a inspiré l’armée française : Eugène Turpin. Il utilise l’acide picrique pour colorer ses babioles. Il le transforme et en fait un explosif. La découverte est baptisée mélinite, pour sa couleur jaune comme le miel. Elle remplacera la poudre noire.

La mélinite est testée en 1886. Le fort de la Malmaison est bombardé. Le verdict est sans appel : ce type de défense ne sert plus à rien et Turpin reçoit 250 000 francs pour sa découverte. En 1891, accusé de l’avoir vendue à l’étranger, il est jeté en prison. "Le Petit journal" prend fait et cause pour le scientifique, libéré après deux ans de détention. Sa mésaventure inspire Jules Verne, dans son roman, Face au Drapeau. Turpin prend la mouche et traîne l’écrivain en justice mais, il est débouté.

Turpin poursuit ses recherches. Il est filmé jetant sa poudre dans son jardin, au milieu de ses poules. 


La rumeur l’imagine inventeur des gaz. De quoi inspirer les caricaturistes. La turpinite est un insecticide sans rival ! Les cafards à casques à pointe n’ont qu’à bien se tenir. Turpin se rend au front mais ne séduit pas l’armée avec de nouvelles inventions. Il mourra en 1927.