L'explosion de Rennes


La mélinite est encore employée pendant la deuxième guerre mondiale. Elle est à l'origine d'une grave catastrophe qui est peu connue. Le 17 juin 1940 l'aviation allemande bombarde la gare de Rennes, un train chargé de mélinite explose. Il y aura au moins 2 000 victimes.

Ci-dessous un article écrit en 2010 par Jean Dominique Merchet  dans le journal Libération relate cet événement

En bombardant la gare de triage, lundi 17, la Luftwaffe a touché plusieurs trains, dont l’un transportant des explosifs. La ville est sous le choc.


Après le terrible bombardement de lundi matin, la ville de Rennes est toujours sous le choc. « Un spectacle dantesque », nous confie une survivante qui était aux premières loges, alors qu’elle venait rejoindre ses deux sœurs à la gare. Selon les premières estimations, on compterait près de 2 000 morts. Des centaines de personnes, souvent méconnaissables, ont été enterrées dans des tranchées creusées par des soldats réquisitionnés. Les corps sont « horriblement mutilés, brûlés, racornis. D’autres sont intacts comme pétrifiés », rapporte un témoin.

Basse altitude

Des sapeurs anglais ont confectionné rapidement un demi-millier de cercueils. A la clinique Saint-Yves, tenue par les sœurs Augustines, les blessés affluent et beaucoup souffrent de graves brûlures. L’accès au périmètre de la gare de triage de la plaine de Baud (à l’est de la ville) a été interdit par les autorités militaires françaises. Des témoins racontent avoir entendus, mardi encore, des explosions dans la zone dévastée.

Cette tragédie est la pire qu’ait connue la grande ville bretonne. Sur la base d’informations encore partielles, nous avons pu reconstituer les faits. Lundi vers 10 heures, alors que l’avant-garde de l’armée allemande se trouvait vers Fougères, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Rennes, trois avions de la Luftwaffe (d’autres témoins parlent de cinq) sont arrivés dans le ciel rennais, à basse altitude en suivant la route de Vitré. Il s’agirait de Ju-87 Stuka ou de Messerschmitt Me-110. Leur objectif était la gare de triage de la ville qu’ils ont aussitôt bombardée.



Des wagons de munitions touchés : un amas d'étuis d'obus au sol- (Südd Verlag)

A l’attaque ennemie s’est ajoutée le plus cruel des hasards. Cinq trains stationnaient alors sur les voies, dont l’un transportant des explosifs, de la cheddite et de la mélinite. Touché par une bombe allemande, ce train a sauté et les explosions ont duré toute la journée et une partie de la nuit.
Quatre autres trains étaient à l’arrêt juste à côté : un convoi de réfugiés civils du Nord de la France, en provenance de Lisieux ; un autre transportant des troupes britanniques et un troisième rempli de soldats français - récemment débarqués à Brest, ces artilleurs, originaires du sud de la France, revenaient de Narvik, en Norvège. Enfin, le «train des banques», qui devait évacuer vers Villeneuve-sur-le-Lot, espèces, coffres, écritures et personnels des banques locales.



En bordure du triage, un train détruit et renversé par l'explosion au bas du remblai, avec débris sur les prairies de la Motte Baril. Au fond, le couvent de la Solitude et l'église Saint-Hélier au dessus de laquelle on aperçoit un peu des superstructures de la brasserie Graff. Photo de Robert Caillard.

Soufflés 

La quasi-totalité des victimes étaient dans ces quatre trains même si des éclats ont été dispersés dans tout le quartier. Toutes les vitres des maisons environnantes ont été soufflées.

Les Rennais ont été surpris par le bruit d’une énorme explosion qui a été entendue dans toute la ville. Il leur a fallu de longues minutes pour comprendre ce qu’il venait de se dérouler. Les premiers secours, des pompiers, des cheminots et des volontaires, sont arrivés sur les lieux peu après, mais il leur a fallu renoncer à pénétrer sur le site, alors que les explosions se poursuivaient. Ils n’ont pu y accéder que dans l’après-midi, en prenant de grands risques, alors que des rescapés, souvent blessés et sous le choc quittaient les lieux par leurs propres moyens. « On fait figure de revenants », assure l’une d’elle.


Cet article a pu être télégraphié de Rennes quelques heures avant l’entrée des troupes allemandes, mardi soir. Les premières colonnes blindées sont arrivées en début soirée. Les «points sensibles» de la ville ont été aussitôt occupés. Un couvre-feu a été imposé, ainsi que la censure militaire allemande.



Le 2 juin 2010, on peut lire dans Ouest-France :


Nous poursuivrons, demain, notre série consacrée à Juin 40. Nous évoquerons le bombardement des trains stationnés, le 17 juin 1940, sur la plaine de Baud. Environ 2 000 réfugiés et soldats périrent, ce jour-là, dans la gare de triage. Ce fut le bombardement allemand le plus meurtrier en Bretagne.

La veille déjà, soit le 16 juin 1940, il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond dans le ciel rennais. « Un avion d’observation a survolé la ville. La DCA lui a bien tiré dessus. Mais en vain », se souvient Guy Faisant, âgé alors de 15 ans et résidant avec ses parents rue des Ormeaux.
Les dégâts furent meurtriers. Trois trains de voyageurs stationnaient sur place : l’un transportait des soldats français du 212e régiment d’artillerie, le second des soldats britanniques et le troisième est bondé de réfugiés. « À Rennes, depuis la débâcle de mai, transitaient beaucoup de réfugiés venus de Belgique, puis du nord de la France et de la région parisienne », rappelle l’historienne Jacqueline Sainclivier.
Si le bilan de ce 17 juin fut aussi meurtrier, c’est surtout parce qu’à côté de ces trois trains, stationnait également un train rempli de munitions. Et notamment de mélinite, un explosif utilisé dans la fabrication des obus.



17 juin 1940 : le cratère à l'emplacement d'un wagon de munitions. La "haie" au-dessus est constituée d'une ligne de ferrailles de wagons aux bogies et roues en l'air - photo de Robert Caillard

Près de 2 000 morts

Les effets des bombes allemandes ont, dès lors, été démultipliés. Les explosions des munitions entreposées dans le train se sont poursuivies toute la journée. Ce jour-là, 1 500 à 2 000 personnes très probablement ont trouvé la mort dans la gare de triage. « Dans toutes les sources que j’ai pu consulter - des documents préfectoraux, de la gendarmerie ou de la police - j’ai toujours vu ce nombre de morts », atteste Jacqueline Sainclivier.
Autour de la gare, c’était l’effroi. Il y avait tellement de morts que nombre d’entre eux furent enterrés dans des tranchées, le long des ballasts.

Paradoxalement, si ce bombardement a marqué les esprits des témoins d’alors, le plus spectaculaire des bombardements allemands en Bretagne n’est souvent évoqué qu’en quelques lignes dans les livres d’histoire. « C’est peut-être parce que le lendemain, le 18 juin, cet événement est occulté par un autre tout aussi important pour les Rennais : l’arrivée des Allemands dans leur ville », analyse Jacqueline Sainclivier.



La plaine de Baud en proie aux explosions pendant plusieurs jours - photo de Robert Caillard, prise de l'avenue Aristide Briand.