L'explosion de Beyrouth


Le mardi 4 août 2020, dans la capitale du Liban, c'est l'explosion de 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium, qui a provoqué des dégâts considérables. Ce produit qui est utilisé comme constituant des engrais doit être stocké dans des conditions précises à l'abri de toute flamme ou source de chaleur excessive.


Mardi 18h07, Beyrouth, Liban. Après une première explosion dans le port de la ville, une longue colonne de fumée obscurcit le ciel de la capitale libanaise. Dans les tours alentour, sur mer, dans les rues de la ville, les objectifs des caméras de téléphone se braquent vers le lieu de la déflagration. À cet instant précis, une seconde explosion fait trembler la ville entière et est ressentie à plus de 200 km à la ronde. Une flamme immense, puis un souffle de gaz et un champignon de fumée se forme instantanément, avant qu'une épaisse fumée rouge et un nuage de poussière recouvrent les quartiers du centre de la cité portuaire



L'onde de choc a été ressenti à plus de 200 km à la ronde, en Syrie et à Chypre. Equivalent à tremblement de terre de magnitude 3,3.


Les premières fumées de couleur blanche ont été suivies d’une explosion qui a relâché un gros nuage rouge et brun, puis un nuage blanc en forme de champignon.


Le nitrate d’ammonium, composant détonant connu pour ses risques.

Présenté comme l’origine des explosions dévastatrices à Beyrouth, le nitrate d’ammonium est  principalement employé comme engrais « azoté » pour un usage agricole,   mais peut aussi entrer dans la composition de certains explosifs à usage civil.




Les sillos à blé en béton armé ont joué un relatif rôle de protection

Le nitrate d’ammonium « est surtout utilisé comme engrais azoté pour les cultures de légumineuses à feuilles », indique la Société chimique de France. Ce type d’engrais, qui se présente sous forme de granulés blancs, est utilisé dans le monde entier pour obtenir un meilleur rendement et est jugé indispensable par de nombreux agriculteurs.



Le Liban est connu pour être un gros consommateur d’engrais : avec 330 kilos par hectare, le pays en utilise deux fois plus que la moyenne mondiale, relevait en février l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).


Le nitrate d’ammonium est également utilisé dans la fabrication d’explosifs. « Mélangé au TNT (trinitrotoluène) ou à la pentrite, il est utilisé dans le bâtiment, les mines et les carrières », précise la Société chimique de France.



Le nitrate d’ammonium (NH 4 NO 3) est le fruit de la réaction entre l’ammoniac et l’acide nitrique. La Russie est de loin le premier pays producteur. Le composé, comme ses dérivés, sont soumis à des règles strictes : il convient « d’isoler le stockage d’engrais des produits incompatibles avec le nitrate d’ammonium, surtout en cas d’incendie », précise une fiche technique du ministère de l’Agriculture, qui cite notamment les liquides inflammables, les gaz liquéfiés sous pression ou les liquides corrosifs.



Il souligne qu’un des principaux dangers liés aux engrais contenant du nitrate d’ammonium est « la détonation des ammonitrates à haut dosage », soit ceux contenant plus de 28 % d’azote. Il ajoute que « ce danger est considéré comme peu probable pour les produits conformes à la norme et stockés dans des conditions normales ».


« Le nitrate d’ammonium est un explosif médiocre , sauf s’il est mélangé à des combustibles comme des hydrocarbures, ou s’il est fondu et confiné lors, par exemple, d’un incendie violent », révèle la Société chimique de France. « L’onde de détonation du nitrate d’ammonium provoque des destructions très importantes », souligne Daniel Vanschendel, expert en explosifs.



« Les explosions sont typiquement des détonations qui causent d’énormes dommages en raison de l’onde de choc supersonique, visible sur les vidéos » de Beyrouth, commente Andrea Sella, chimiste à l’université londonienne UCL.



Au vu « des premières fumées de couleur blanche, suivies d’une explosion qui a relâché un gros nuage rouge et brun, puis un nuage blanc en forme de champignon , cela indique que les gaz émis sont des vapeurs de nitrate d’ammonium blanc, du protoxyde d’azote toxique et de l’eau », renchérit Stewart Walker, professeur à l’université australienne de Flinders.






Pour certains la formation d'un nuage en forme de champignon a fait penser à tort à une explosion nucléaire.




Un nuage fait de vapeurs de nitrate d’ammonium blanc, de protoxyde d’azote toxique et d’eau


L’explosion des Dix-huit Ponts signait en 1916 un Beyrouth lillois 

Un article de Frédérick Lecluyse dans la Voix du Nord le samedi 8 août 2020


Cent quarante morts, plus de sept cents habitations soufflées : en 1916, Lille est ravagée.

De la capitale des Flandres à celle du Liban, c’est sans doute la même substance ou un nitrate de la même famille   qui est à l’origine de ces déflagrations hors normes. Il y a un siècle, l’explosion de l’arsenal allemand avait littéralement soufflé Lille. La catastrophe qui frappe le Liban aujourd’hui ravive cet épisode de l’histoire de Lille. 


De Beyrouth, en 2020, à Lille en 1916, des images de désolation. La même déflagration épouvantable. Ce 11 janvier, au cœur de la Première Guerre mondiale, c’est un cauchemar qui attend les Lillois au réveil. Durant la nuit, l’arsenal allemand – le plus important sur le front du Nord – entassé dans le bastion des Dix-huit Ponts a explosé. Le désastre est colossal : 140 morts, 400 blessés, 738 maisons détruites, 21 usines à terre et un cratère de 150 m de diamètre. Selon les historiens, la déflagration a été entendue à 150 km à la ronde. À Breda, à la frontière néerlandaise, des habitants ont été sortis de leur sommeil.

En France,  le nitrate était produit là où l’usine AZF  s’est installée. 

Le même produit cent ans plus tôt ?

Ce mardi 4 août, dans le port de la capitale libanaise, ce sont 2 750 tonnes de nitrates d’ammonium qui auraient donc explosé, provoquant un maelström de destructions, qui ne sont pas sans rappeler celles de la guerre civile qui a embrasé Beyrouth dans les années 80. Cent ans plus tôt, à Lille, c’est apparemment un produit de la même famille, utilisé pour la fabrication de l’engrais et des explosifs, qui serait en cause. Le Lillois Alain Cadet, qui a publié en 2015 un ouvrage (1) sur la similitude entre la catastrophe lilloise et celle de Toulouse en 2001 après l’explosion de l’usine AZF, en est convaincu.

« Ces explosions portent la même signature : l’incroyable violence du souffle et des destructions identiques », appuie l’auteur, joint ce mercredi. Durant la guerre 14-18, on sait que les armées allemandes utilisent ce nitrate pour fabriquer bombes, obus et explosifs. À Lille, en 1957, lors de travaux de constructions de nouveaux immeubles sur le site des Dix-huit Ponts, des obus allemands non explosés sont mis au jour avec des quantités non négligeables de nitrate ; du nitrate de cellulose à l’époque, un composé chimique nouveau mais particulièrement instable... Est-ce cette matière qui a explosé il y a 104 ans ? Alain Cadet relève un fait : « En France, ce nitrate était produit à l’époque à Toulouse. Exactement à la même place où l’usine AZF s’est ensuite installée. » L’usine toulousaine a explosé en 2001.

1. « L’explosion des Dix-huit Ponts - Un AZF lillois en janvier 1916 », aux éditions les Lumières de Lille. 22 €.



Le dimanche 31 juillet 2022, un incendie a détruit deux des quarante huit tours endommagées toujours restantes sur les lieux de l'explosion, deux années après cet accident technologique majeur.