Cinqueux est une commune de l'Oise qui porte les traces malheureuses de l'usage de la mélinite.
Le 17 février 1910, à huit heures du soir, alors qu'un homme
sortait de l'église où il venait de sonner l'angélus, le pilier sud-est du
clocher s'écroulait subitement, crevant la voûte du chœur et du carré du
transept. Heureusement personne ne fut blessé.
Miné et rongé par des infiltrations d'eau de pluie due à
l'engorgement de la noue située entre les deux toits de la grande chapelle, le
dit pilier s'affaissa, la pyramide rectangulaire du clocher demeurant debout et
intacte.
Après examen de la situation et avis d'experts,
l'administration décida d'abattre le clocher, estimant dangereuse une
entreprise de restauration et elle fit appel à un détachement de soldats du
génie de Versailles.
L'opération eut lieu les 24 et 25 février 1910 ; il fallut
trois charges de mélinite pour faire écrouler le clocher. C'était une preuve
que seul le pilier qui avait cédé menaçait ruine le reste de l'édifice étant
encore solidement établi.
L'église de Cinqueux avec son clocher intact (ci-dessus) et après son effondrement en 1910 (ci-dessous)
Quelques instants avant l'explosion
Le dynamitage du clocher avec la mélinite
Les ruines
Un reportage dans l'Illustration en 1910
IL Y A 100 ANS DISPARAISSAIT L’UN DES PLUS ANCIENS CLOCHERS
DE L’OISE
Les 100 ans de la chute du clocher de l’église
Un évènement qui fit couler beaucoup d’encre dans le canton et même au-delà : dynamiter le clocher de l’église, impensable !!
M. Sébastien Berthe, qui a réalisé une exposition les 23 et 24 octobre à l’église St Martin de Cinqueux, relate l’essentiel de cet évènement.
« Vers huit heures du soir les habitants de Cinqueux furent
réveillés par un bruit formidable que d’aucuns effrayés crurent être produit par un tremblement de terre… En un clin d’œil tout
le monde fut dans la rue ».
C’est en ces termes que le Petit Parisien rapporte dans son
édition du 19 février 1910 l’incident à l’origine d’un évènement peu commun : le dynamitage d’un clocher d’église.
Paris, janvier 1910. La crue de la Seine atteint des niveaux
record. Ces pluies qui s’abattent sur le Nord de la France depuis plusieurs semaines déjà viennent s’ajouter aux derniers
hivers pluvieux, aggravant toujours un peu plus cette tâche qui est apparue depuis quelques années sur la partie supérieure du
pilier Sud-est du clocher de l’église de Cinqueux.
Le clocher de Cinqueux a été bâti au XIIème siècle, remplaçant
vraisemblablement l’ancien clocher roman. Clocher d’apparence robuste dont les piliers sont surmontés de quatre
pyramidions en pierre et d’une couverture pyramidale en ardoise réfectionnée
il y a maintenant dix ans. Depuis 1793, seule une cloche demeure
dans le clocher. Chaque jour, un appariteur se charge d’annoncer aux habitants les heures de la journée.
17 février 1910 : l’appariteur vient de sonner huit heures.
Cette fois, la pierre rendue friable par l’humidité accumulée sur le pilier sud-est ne résistera pas aux vibrations engendrées
par la sonnerie de la cloche.
Il est 20h05. Un « bruit assourdissant » réveille les
Cinquatiens. Le pilier vient se s’effondrer. La nouvelle fait rapidement le tour du village et ne laisse bien sûr personne indifférent.
Les précautions d’usages sont prises par M. Duvivier, Maire de Cinqueux : fermeture de l’église au public, stationnement
interdit aux abords de l’édifice. La proximité de la voirie et de la maison de M. Lambert avec
le clocher font craindre le pire. Il faut agir vite. Ce clocher du XIIe siècle est il encore solide malgré son apparente robusté ?
Entrepreneurs, architectes sont sollicités tour à tour. Il semble que chacun s’accordât à dire que le clocher était dans un état
d’équilibre instable et qu’il était dangereux d’y tenter quelques opérations d’étaiement. Mais cet avis est loin d’être partagé.
L’atmosphère se durcit à Cinqueux
On fait alors appel au sous-préfet de Clermont, M. Maestraci
qui après s’être entretenu avec le Maire et pris la mesure de l’incident fait
appel au Ministre de la Guerre qui, aussitôt sollicité, dépêche sur place une
compagnie du Génie.
Elle doit selon l’ordre du Ministre « prendre toutes les
mesures nécessaires et effectuer les travaux signalés comme dangereux ». C’est au
détachement du 1er régiment du génie de Versailles commandé par le capitaine
Cauvet-Duhamel qu’est confiée cette lourde mission.
Arrivé le 22 au soir à Cinqueux, le capitaine procède à la
reconnaissance du clocher dès le lendemain matin. Son rapport qui nous est
parvenu est sans appel : « il y a danger à travailler à l’intérieur du clocher ».
Sa conclusion l’est aussi : « faire sauter ce qui reste du clocher au moyen d’explosifs
».
Le 23 février 1910, le conseil municipal réunit en séance
extraordinaire, suivant les recommandations du capitaine du génie vote le principe
de la démolition du clocher.
Les réactions sont vives, à commencer par celles de M. le
Curé – l’abbé Boitelle - et d’une grande partie de ses paroissiens. On craint que
les manifestants n’en viennent aux mains. De nouveau on fait appel au sous-préfet
de Clermont pour calmer les esprits.
Le 23 février, sous un temps couvert, les soldats du Génie
investissent au moyen d’échelles le pilier sud-ouest du clocher. Une charge de
mélinite y est posée. A 300 mètres de là, la foule attend anxieuse, suivant
l’évènement depuis la route de Rieux, du cimetière ou encore de la place. A quatre
heures, l’explosion retentie : seules quelques pierres se décrochent du pilier !
La deuxième, une heure plus tard aura raison de pilier
Sudouest.
Mais la toiture, surmontée du coq demeure immobile !
Le vaillant clocher est applaudit par la foule. Mais une
troisième explosion le lendemain matin à 9h lui apportera un coup fatal… « La toiture du clocher s’est effondrée dans un fracas formidable » écrit un témoin ayant assisté à l’évènement.
En une semaine, ce sont 700 ans de poussière accumulés dans les combles qui se sont abattus au sol… 19 kilos de mélinite auront été nécessaire pour réussir l’opération.
L’émotion est grande parmi les habitants, elle l’est aussi
parmi les sociétés historiques du département qui tour à tour
s’associent au manifeste de la société historique de Clermont, « regrettant que les messages répétés sur l’urgence de
travaux à réaliser aient été tenus pour lettre morte ».
L’évènement est suivi jour après jour par la presse régionale
et nationale : il est à la une du Petit Journal, quotidien le
plus lu de l’époque, de la Croix, de l’Echo de Paris. C’est toute la France qui est ainsi interpellée par la brutalité de
l’évènement.
Puis écho politique : Maurice Barrès s’empare de l’évènement et interpelle le président du Conseil à l’Assemblée
Nationale. Pour lui, la loi de 1905, séparant les Etats et les Eglises
ne protègent pas suffisamment les églises de France. Cinqueux est un exemple parmi d’autres.
Barrès se lance alors dans une campagne pour la sauvegarde des églises de France. Son plaidoyer à l’Assemblée Nationale où il cite à nouveau l’exemple de Cinqueux restera parmi ses plus vibrants discours.
A Cinqueux, la vie a repris. Les restes de la toiture de la
Grande Chapelle se sont à leur tour effondrés. Le maire vient d’être mis en minorité par son conseil lorsqu’il s’est agit
de voter pour la pose d’une nouvelle horloge – celle du clocher ayant été détruite. Une pétition signée par 105 électeurs
demande la réparation du clocher.
Quant au curé, l’Abbé Boitelle, il vient de quitter son
ministère. Bientôt la municipalité mettra en vente son presbytère.
Et malgré la constitution d’un comité de sauvegarde de
l’église de Cinqueux, du soutien politique de Maurice Barrès, des sociétés historiques, d’une grande partie des
Cinquatiens, le sort de l’église de Cinqueux dont le clocher et toutes les toitures ont volé en éclat ces 23 et 24 février 1910 demeure
incertain….