Le coton-poudre et la poudre B
Article proposé par Rose Wolf - 28-03-2015 (à partir d’un article publié en 1907 dans « L’Illustration »)
La poudre B dite « à la nitrocellulose »
Pour l'obtenir, on commence par préparer du coton-poudre. Pour cela on traite par l’acide azotique (acide nitrique ou acide nitrique mélangé d'acide sulfurique) du coton épuré (cellulose). Lorsqu’il a été suffisamment attaqué, on le rince et on le fait sécher. Le coton-poudre est obtenu.
Ce produit ne diffère, au point de vue physique, du coton, que par un aspect un peu plus rêche. La découverte du coton-poudre est due à Schœnbein, qui le prépara en 1846. Cet explosif a reçu depuis une foule de noms différents puisqu’on trouve de la cellulose plus ou moins pure un peu partout : coton-poudre, fulmicoton, coton-fulminant, coton azotique, pyroxyle, pyroxiline, poudre pyroxylée, poudre de bois, etc.… Le corps obtenu est toujours le même, ses propriétés ne varient guère, même si son apparence extérieure diffère plus ou moins.
Traités par le même acide, le coton, la sciure de bois, la paille, le papier ou le linge fournissent toujours un produit sensiblement constant. Le fulmicoton n'est autre chose que le produit du remplacement, dans une cellulose d’origine quelconque, d'une quantité donnée d'hydrogène par une quantité correspondante d'acide hypoazotique. Ce phénomène de substitution est un phénomène chimique connu. Il existe des familles entières de corps organiques où l'on peut remplacer une, deux ou trois molécules d’hydrogène H par une, deux ou trois molécules du radical AzO4 (acide hypoazotique), les corps ainsi formés conserveront alors le nom du corps primitif.
Les nitrés
La nitroglycérine et la mélinite
En opérant sur la cellulose du coton on obtient successivement les cotons mononitré, binitré ou trinitré (mononitrocellulose, binitrocellulose, trinitrocellulose), le dernier de ces corps portant plus spécialement le nom de coton-poudre.
Si l'on part de la glycérine, on obtient les nitroglycérines.
Le phénol ou acide phénique donne, le trinitrophénol ou acide picrique, que les Français ont baptisé mélinite, les Anglais lyddite, les Italiens pertite, les Autrichiens écrasite, les Allemands explosif 88, les Japonais explosif Schimose.
Ces exemples montrent comment on peut obtenir, à partir du bois, de la glycérine ou de l'acide phénique, des explosifs aussi énergiques que le coton-poudre, la nitroglycérine et la mélinite. Au premier abord la tâche semble relativement facile puisqu’il suffit de substituer trois molécules du radical AzO4 à trois molécules d’hydrogène. En réalité il n’en va pas ainsi.
La nitroglycérine, par exemple, se présente sous la forme d’une huile jaunâtre qui explose au moindre choc. Pour « l’apprivoiser » il faut la faire absorber par un sable bien choisi ou par de la sciure de bois. Elle prend alors le nom de dynamite et perd un peu de sa susceptibilité.
L'acide picrique se comporte d'une façon plus curieuse encore.
A l'état de poudre cristalline, il est fort dangereux. En solution étendue d'eau, il constitue un excellent remède contre les brûlures. Fondu, il tient le milieu entre le bois et le soufre : vous pouvez le frapper, essayer d’y mettre le feu avec une allumette, vous ne le ferez point sortir de son naturel. C'est la découverte de cette curieuse impassibilité qui constitue l'invention de Turpin.
Mais si vous versez cet acide picrique (mélinite) fondu dans un obus en acier, placez à l'intérieur un tube d’acier ou détonateur plein d’acide picrique en cristaux et surmontez le tout d'une amorce contenant un demi-gramme de fulminate de mercure, alors vous obtenez un obus dont une des qualités est de pouvoir circuler sur les pavés avec la plus complète sécurité.
Vers 1880, on commença à se plaindre des armes en service : fusil Gras et canon de Bange, dont la vitesse initiale (455 m) et les zones d’efficacité semblaient faibles. L'ingénieur des poudres, Vieille, reprenant les idées de Schultze (1864) et d'Hartig (1847) se dit qu'en transformant le coton-poudre en une matière amorphe et compacte, en le dissolvant, par exemple, pour le faire ensuite sécher, et en le comprimant, il lui enlèverait sa trop grande facilité d'inflammation, ralentirait sa combustion tout en lui conservant son énergie intégrale, mais en ne permettant à celle-ci de se manifester progressivement. Il espérait créer ainsi une poudre progressive. Une idée qui hantait depuis longtemps le cerveau de tous les poudriers.
Restait à passer à la pratique.
Dissoudre le coton-poudre était le plus facile. Il y avait longtemps que les photographes se livraient avec succès à cette opération. En employant un mélange approprié d'alcool et d'éther ils produisaient le collodion et faisaient, de la poudre progressive sans le savoir. Le collodion n'est en effet autre chose qu'un coton-poudre gélatinisé. Coupé en petits morceaux carrés, du collodion préparé avec soin et convenablement séché fournit à Vieille sa première poudre progressive. Par surcroît, et sans qu'on l'eut cherché, elle se trouva être sans fumée. Cette poudre se montra très nettement supérieure à l'ancienne poudre noire.
Le collodion primitif fut amélioré par un mélange de collodions spéciaux donnant, au point de vue balistique, de meilleurs résultats et permettant d'augmenter de plus de 100 mètres les vitesses initiales sans changer les pressions intérieures.
Telle fut l'origine de la poudre B qui date du début de 1885.
L'adoption de la poudre B permit de construire le fusil 1886 (fusil Lebel) et d'améliorer les vieux canons de Bange.
Le succès fut considérable et tel que Vieille put écrire, quelques années plus tard, « l'adaptation au tir des bouches à feu de quelque autre explosif ne pourra apporter à l'armement qu'un perfectionnement de détail ; un nouveau progrès, comparable à celui qui a été réalisé, ne saurait être obtenu que par la découverte d'explosifs d'un type entièrement différent de ceux que la chimie met aujourd'hui à notre disposition. »
Cette déclaration parut alors naturelle en raison de l'immense service que nous rendait à cette époque la poudre B.
Les poudres à la nitrocellulose furent d'ailleurs bien vite imitées. Toutes les nations les adoptèrent bientôt, telles quelles ou à l'état de mélange avec des poudres analogues à la nitroglycérine (poudre Nobel).
Pendant quelques années, tout alla bien, mais le défaut de la nitrocellulose apparut assez rapidement. La stabilité dans le temps des poudres à base de fulmicoton se révéla douteuse. On discuta longuement dans les milieux techniques, attribuant, comme toujours, en pareil cas, les altérations survenues au manque de précautions et de surveillance. Il fallut, en fin de compte, reconnaître la réalité de ces altérations. On adopta le système proposé par le « Service des poudres et salpêtre », qui consistait à « réparer », les poudres atteintes d'un commencement de décomposition en reprenant à nouveau les dernières opérations de la fabrication. Cette opération fut appelée « le radoubage » des poudres B.
On escomptait que les poudres neuves dureraient sept ou huit ans sans s'altérer et que le radoubage renouvellerait leur bail d'existence pour une période égale. La chose était déjà grave. Dans ces conditions, il fallait renoncer à constituer dès le temps de paix les approvisionnements de poudre dont on aurait besoin en temps de guerre, ainsi qu'on le faisait jadis avec la poudre noire.
Mais l'expérience montra que le radoubage, malgré son prix élevé (30 %, environ du prix initial de la poudre), n'offrait que des garanties de conservation assez faibles. Elle montra également que les poudres neuves s'altéraient souvent avant d'avoir atteint la durée prévue, et, malgré toutes les précautions prises, donnaient lieu à des inflammations spontanées.
C'est ainsi que se produisit, près de Toulon, l'explosion de la poudrière de Lagoubran en 1899. On avait accumulé dans ce magasin de funeste mémoire une grande quantité de poudre B débarquée des navires retour de Madagascar, ainsi que des approvisionnements considérables de poudre noire. Un beau jour, cette poudre, sans raison connue, prit feu spontanément. L'accident n'aurait pas eu grande importance si la poudre B eût été seule, car, pour devenir dangereuse, celle-ci doit être enflammée sous pression, mais la poudre noire, qui ne présente point cet avantage, s'enflamma à son tour et projeta le magasin dans les airs, d'où il retomba sur les habitations voisines.
Comme d'habitude on ouvrit une enquête et les techniciens, racontèrent, dans des rapports destinés à rassurer l'opinion publique, que cet accident était dû à un concours de circonstances impossible à prévoir et qui ne pourrait jamais se représenter. Les poudres B de l'armée de terre ou de l'artillerie coloniale n'en continuèrent pas moins à s'altérer en magasin et à s'enflammer par-ci, par-là en dépit de toutes les précautions compliquées qu'on avait pu imaginer.
Un incident fut rapporté par tous les journaux aux alentours de 1905 : l’inflammation en plein jour, dans les rues de Marseille d’une caisse de poudre B qu'un camion transportait d'un magasin à un autre.
Les mêmes incidents se produisirent à bord de bateaux et la catastrophe du Iéna en 1907 fut précédée en France de six explosions du même genre, quoique peu importantes, sur le Duperré, le Charles-Martel, le Forbin, le Bruix, le Descartes et le Vauban. Trois accidents analogues survinrent sur des cuirassés étrangers. Le Mikasa (Japon), l'Aquidaban (Brésil) et le Maine (Etats-Unis), coulèrent, en 1905, 1906 et 1898, avec tout leur équipage, tandis que d'autres, comme le Marco-Polo (Italie), s'en tiraient relativement à bon compte.
Cette instabilité des poudres explique sans doute quelques « inflammations spontanées de caissons » d’artillerie décrites par un certain nombre de rapports ou de Journaux de Guerre datant des débuts de la guerre de 14-18.