Cette illustration " Mise en liberté de M. Turpin - La sortie de la prison d'Etampes " est parue le dimanche 23 avril 1893 en dernière page du journal " Le petit Parisien ", supplément littéraire illustré, dans son numéro 220.
On sait que sa libération d'Eugène Turpin était intervenue quelques jours plus tôt, le 10 avril 1893.
Ci-dessous le fac-similé de l'article qui est paru page 135 sur deux colonnes.
Mise en liberté de Monsieur Turpin
Sur la proposition du Ministre de la Justice, le Président de la République a signé un décret
accordant à Monsieur Turpin, l'inventeur de la mélinite, la remise de la peine
prononcée contre lui il y a deux ans.
On se souvient des circonstances dans
lesquelles Monsieur Turpin fut poursuivi. Dans un livre qu'il avait publié en
mai 1891 : Comment on a vendu la mélinite, il dénonçait un sieur Tripoté officier de l'armée territoriale et agent de la maison anglaise Armstrong, comme
ayant livré à l'étranger des documents secrets relatifs à la défense du
territoire. Ces documents avaient trait à la récente invention de la mélinite par
Monsieur Turpin. La mélinite ne peut être employé pour les obus qu'à l'aide d'un
détonateur d'une construction toute spéciale : ce sont les plans de ce détonateur
que Monsieur Turpin accusait le sieur Triponé de s'être procurés subrepticement
dans nos arsenaux pour en donner communication à des constructeurs étrangers. À
l'appui de ces accusations Monsieur Turpin reproduisait à la fin de son livre
une partie des dessins d'obus qu'avaient pu se procurer Tripoté. Le parquet fit
saisir le livre et procéda à l'arrestation de son auteur et à celle du sieur Tripoté. Une instruction judiciaire fut ouverte à la suite de laquelle deux complices du sieur Tripoté les nommés Fassier employé non commissionné aux ateliers d'artillerie de Puteaux, qui communiquait à Tripoté les
documents secrets, et Feuvrier qui en faisait des calques furent également
arrêtés.
Le procès fut jugé à huis clos et le jugement rendu le 17
juin 1891. M. Turpin et le sieur Tripoté étaient prévenu " d'avoir après s'être procuré des documents secrets relatifs à la défense du territoire
communiqué avec la complicité de Feuvrier, ces documents et divulgué les
renseignements y contenus. "
En outre, Monsieur Turpin été prévenu par un délit distinct d'avoir en mai 1891 publié ou reproduit les mêmes documents.
Fessier été
prévenu d'avoir comme préposé de l'État communiqué aussi ces documents à des
personnes non qualifiées.
Sur le premier délit le tribunal donna à Monsieur
Turpin le bénéfice de l'exemption légale qui consiste à ne pas infliger de
peine à un coupable s'il a dénoncé avant toutes poursuites, des actes attentatoires à la sûreté du pays.
Sur le deuxième délit - publication des planches et documents
intéressants la défense du territoire -Monsieur Turpin fut condamné à cinq ans
de prison, 2 000 francs d'amende, cinq ans d'interdiction des droits civiques.
Le
sieur Tripoté, bien qu'il eût invoqué le bénéfice de l'exemption légale - ce
que n'avais pas fait Monsieur Turpin dans ses conclusions - vit sa demande
repousser et il fut condamné à cinq ans de prison, 3 000 francs d'amende, 10 ans
d'interdiction des droits civiques et 10 ans d'interdiction de séjour.
Fessier fut condamné à cinq ans de prison, 1 000 francs d'amende, cinq ans d'interdiction des droits civiques février à deux ans de prison 500
Fr. d'amende et cinq ans d'interdiction des droits civiques.
Monsieur Turpin
avait été transféré à la maison d'Etampes : c'est là qu'il a appris la semaine
dernière qu'il était gracié.
Il importe de dire que depuis sa condamnation, Monsieur
Turpin avait été l'objet dans le pays d'un mouvement de vive sympathie. On ne
comprenait point qu'on l'eût frappé, lui, l'inventeur de la mélinite et le dénonciateur
des faits d'espionnage mise à la charge de Tripoté, d'une peine aussi forte
que celle qui atteignait le traître.
D'ailleurs on savait que dans toutes les lettres qu'il
écrivait à ses amis Monsieur Turpin comme il l'avait fait devant le Tribunal ne
cessait pas d'affirmer hautement son dévouement à la patrie.
C'est à huit heures et demie du soir le 11 avril, que le prisonnier apprit qu'il
allait être mis en liberté. Il était déjà couché et comme le gardien chef lui
disait qu'il pouvait s'en aller de suite si le désirerait, Monsieur Turpin répondit
qu'il préférait passer la nuit dans sa cellule afin de mettre ses papiers en
ordre. C'est à cinq heures du matin qu'il a signé sa levée d'écrou.
La prison d'Étampes n'est pas un établissement pénitentiaire
d'un caractère imposant. Elle ne peut renfermer d'ailleurs que trente cinq détenus. Son mur blanc se profile le long d'une ruelle étroite et mal pavée.
Plusieurs
journalistes attendaient à la porte la sortie de l'inventeur de la mélinite ; l'un
deux avait même passé la nuit là dans une voiture.
Quand la porte s'ouvrit et que Monsieur Turpin parut, toutes les
mains se tendirent vers lui et il les pressa chaleureusement en proie à une
vive émotion.
C'est cette scène que notre dessinateur a rendue à notre dernière
page d'après le croquis qu'il avait fait sur place.
Monsieur Turpin qui a déclaré être décidé à se remettre au
travail avec acharnement et qui a plusieurs inventions scientifiques à
l'étude, est allé rendre visite à sa mère qui habite Rosendaël, près de
Dunkerque ; il reviendra ensuite s'installer à Colombes, près de Paris, où il
résidait au moment de son arrestation.