Injustement accusé d’avoir vendu son invention aux
Allemands, Eugène Turpin est condamné et incarcéré à Étampes, mais il est
gracié le 10 avril 1893 à la suite d'une campagne d’opinion à laquelle
participe Le Petit Journal.
Dans le supplément illustré du numéro 127 du Petit Journal qui est paru le samedi 29 avril 1893, figure en couverture cette gravure d'Eugène Turpin sortant de prison.
Eugène Turpin avait été libéré quelques jours plus tôt, le 10 avril 1893.
PREMIERE HEURE DE LIBERTE
M. Turpin sortant de la prison d'Etampes.
En 1887 le Ministère de la Guerre lui avait acheté son procédé pour
250 000 francs et l'avait décoré de la Légion d’Honneur.
A propos de la presse, on rappelle souvent ce qu’Ésope disait de
la langue, à savoir qu’elle est la meilleure et la pire des choses.
Il est possible que la presse fasse parfois du mal ; elle
parle beaucoup, et ceux-là seulement qui restent muets ne disent jamais de
sottises ; mais il est incontestable qu’elle fait du bien, elle vient une fois
de plus de le prouver.
C’est sur ses
vives et persistantes réclamations que M. Turpin a été enfin mis en liberté
après une cruelle et inexplicable détention de vingt-trois mois, près de deux
ans.
Nous
avons ici protesté énergiquement contre son incarcération ; nos lecteurs n’ont
pu oublier le dessin qui le représentait dans son cachot, tandis que dans un
rêve il assistait au triomphe de nos armées grâce à son admirable invention de
la mélinite.
Au-dessous du
dessin, on lisait ce titre, résumant ironiquement la situation : Récompense
nationale !
Un cachot !
C’était en effet, tout ce qu’on avait trouvé pour récompenser celui auquel nous
devons tant. En même temps
nous réclamions l’honneur de serrer la main de ce grand serviteur de son pays,
de cette victime.
Nous avons eu
enfin cette joie patriotique que nous désirions tant. Dès son arrivée au
pouvoir, le nouveau ministère, — on ne saurait assez l’en féliciter, — a ouvert
les portes de la prison d’Étampes.
Le jour même de
sa sortie, nous avons vu M. Turpin, un peu engraissé par le manque d’exercice,
ahuri par son passage subit à l’air libre, la voix fatiguée pour avoir répondu
aux félicitations de ses amis, lui qui depuis si longtemps ne parlait plus,
mais très calme, très heureux, très simple. Averti de sa
libération le soir, il avait demandé la singulière faveur de ne sortir que le
lendemain matin. Il voulait avoir le temps de ranger ses papiers. Trois de ses amis
l’attendaient ; parmi eux notre confrère Cardane, qui a tant fait pour l’œuvre
de réparation. Devant la porte se tenait notre
correspondant du Petit Journal.
M. Turpin, ses
amis remerciés, est allé retrouver sa vieille mère.
Il ne songe pas à se venger. Il ne
répondra pas aux interviewers, n’assistera pas aux banquets, mais s’occupera
seulement de mettre au jour les importantes découvertes auxquelles il a occupé
ses loisirs. C’est la France
qui en bénéficiera, et elle ne se montrera pas ingrate. La liberté, c’est
bien, mais ce n’est pas tout : il faut que l’on complète l’œuvre de réparation
et que l’on rende à M. Turpin sa croix de la Légion d’Honneur, et même qu’on
lui donne la rosette d’officier.
On dit que les
années de campagne comptent double. Dans le cas de M. Turpin, les mois de
prison comptent quadruple. Il y a donc vraiment trop longtemps qu’il n’est que
chevalier.