Article paru dans Le Parisien le 30 juin 2012
De nombreuses personnalités sont enterrées dans le Val-d'Oise. Des peintres, comédiens, écrivains, sportifs ou inventeurs dont
l'histoire se rattache à celle du département. Alors que les catholiques
célèbrent la Toussaint, nous vous proposons de découvrir les sépultures de ces
hommes et ces femmes. Aujourd'hui, Eugène Turpin
Il a mené ses recherches de chimie jusqu'à ce qu'il rende
son dernier souffle. Eugène Turpin a passé les trente dernières années de sa vie sur les bords de l'Oise.
Eugène Turpin, l'inventeur de la mélinite, un puissant
explosif, mais aussi des couleurs inoffensives permettant d'habiller les jouets
en caoutchouc, s'est éteint tel un savant méconnu à Pontoise en 1927. Son
imposant caveau, sur lequel son nom et sa qualité d'inventeur sont gravés en
lettres dorées, trône au cœur du carré des tombes anciennes dans le grand
cimetière de Pontoise.
Cet homme modeste, né en 1848, a eu une existence pour le
moins atypique. Il se fait remarquer pour la première fois en 1877, alors qu'il
obtient un prix pour avoir découvert les couleurs inoffensives. La matière
révolutionne le monde des jouets en caoutchouc que les enfants peuvent mettre à
la bouche désormais sans danger.
Mais Turpin n'en est qu'à ses débuts. Alors qu'il étudie
très sérieusement les explosifs, il rend maniable, dès 1881, une substance
chimique appelée acide picrique et le transforme en explosif. Cette découverte,
brevetée en 1885, est adoptée par le gouvernement français en 1887 sous le nom
de mélinite. Elle remplace rapidement la poudre noire utilisée dans les obus
français.
Si cette invention ne rend pas célèbre Eugène Turpin, c'est
l'affaire qui en découle qui lui vaudra d'être connu. Alors qu'il vend son
procédé au ministère de la Guerre pour la somme de 250 000 francs, il n'obtient pas
de l'Etat l'autorisation de le fabriquer. Plus tard, il apprendra même que sa
découverte, baptisée mélinite, est attribuée à des ingénieurs de l'armée. En
contact avec des industriels étrangers très intéressés par son savoir, il
refuse pourtant de vendre son procédé à l'étranger.
Un procès en diffamation contre Jules Verne
Sa colère envers l'Etat le conduit à publier un texte : «
Comment on a vendu la mélinite ? » qui lui vaudra d'être condamné pour
divulgation de secrets nationaux à cinq ans de prison. Après être intervenu au
plus haut niveau de l'Etat, Turpin obtient gain de cause une fois sa peine
purgée. L'invention de la mélinite lui revient enfin ainsi que 100 000 francs de
dommages et intérêts. L'autre moment fort de sa vie l'opposa à Jules Verne
qu'il traîna en justice pour diffamation. Le romancier se servait d'Eugène
Turpin pour alimenter les histoires du héros de son roman « Face au drapeau ».
Celui-ci mettait en scène un savant français inventeur d'un explosif plus
puissant que la dynamite. Jules Verne, défendu par le futur président de la
République Raymond Poincaré, est relaxé. La correspondance de Jules Verne avec
son frère révéla par la suite qu'il s'était bien inspiré de Turpin pour son
roman. C'est en 1898 que Turpin, alors jeune marié, s'installe à Pontoise dans
une jolie villa au bord de l'eau, quai du Pothuis, où il aime élever des
pigeons. Le modeste Turpin s'en est allé le 23 janvier 1927, emporté par une
complication pulmonaire. Il eut droit à de « modestes funérailles » comme le
rapporte « l'Echo pontoisien » du 3 février 1927. Elles furent célébrées dans
la cathédrale Saint-Maclou par les Pontoisiens venus nombreux rendre un dernier
hommage à leur savant méconnu. La ville a donné son nom à une partie du quai du
Pothuis.